
En effet, en ce premier février, je retrouve la plupart des amis des CAF avec qui j’ai passé, le week-end précédent quelques jours entre Lorraine et Vosges. Nous y avons arpenté quelques territoires fort fréquentés sans qu’il ne me soit possible d’apercevoir un animal proche et envisager une issue favorable.
Au cours de la nuit une forte dépression a traversé le pays. Sous son effet et celui d’importants coefficients de marée, tout le littoral est en état d’alerte. Une pluie battante m’accompagne au cours des quatre-vingt kilomètres qui séparent la maison du lieu de rendez-vous.
Je parcours, malgré tout, rapidement cette route que je connais par cœur pour avoir chassé, durant de nombreuses années, à courre sur le massif de Breteuil puis des environs. La pluie s’estompe progressivement… un timide rayon de soleil salue le lever du jour. Première bonne nouvelle ! Il sera inutile de s’encombrer d’une tenue anti-pluie, jamais très favorable. Une surchemise en laine me garantira confort et silence.
François Fauchon est à l’initiative de cette journée. Nous nous retrouvons, entre archers, sur une chasse tenue par des carabiniers à la limite ouest des massifs de Breteuil et Conches. Nos hôtes, Vincent Vivien et Max Rongrais, nous réservent un accueil chaleureux. Ils découvrent la chasse à l’arc mais se plient, de bonne grâce, à notre particularisme. Ils mèneront la traque, lentement, avec peu de bruit, sans chien. Les instructions sont simples : renard, sanglier sauf laie suitée ou meneuse, chevrette ou chevrillard. Nous sommes postés sur deux lignes, plus quelques postes d’éventuelle refuite.
La première traque concerne essentiellement une futaie claire. J’ai choisi, à une cinquantaine de mètres à l’intérieur du bois, un chêne respectable autour duquel je débarrasse feuilles et branchages susceptibles de me gêner et troubler le silence.
Aucun animal ne vient perturber ma solitude au cours de ce rabat. Les traqueurs m’informent que la seconde poussée se déroule dans une coupe, située de l’autre côté de la ligne…
Je profite de ce redéploiement pour rechercher une position plus adaptée à cette seconde phase. Un peu par flemme, par manque d’inspiration… Et sans doute poussé par quelques forces obscures, je décide de ne pas me déplacer.
Je reste donc au pied de « mon grand chêne », mais me place devant dans le sens de la traque, dans son ombre, le soleil, maintenant radieux, étant à l’opposé. La traque approche doucement, les rabatteurs signalent discrètement leur progression… tout à coup, l’un d’entre eux annonce un sanglier qui se lève devant lui… Ce dernier saute rapidement la ligne et se dirige droit vers moi sous bois, à bon train. Il est seul, à une quarantaine de mètres… Va-t-il passer sur ma droite ?… Ou à ma gauche ?… C’est à ma droite !… Il avance relativement vite, sans se préoccuper de ma présence, pour passer à six ou sept mètres de moi. Mes doigts s’ouvrent alors qu’il vient juste de me dépasser. Ma flèche disparaît jusqu’aux plumes, un peu en arrière de l’épaule… Il parcourt les quelques mètres suivants dans le même tempo, sans modification. Puis brutalement, sa fuite devient moins assurée. L’animal heurte de nombreux baliveaux dans un grand fracas et s’effondre à vue, à une cinquantaine de mètres.
Je revis ces quelques instants, quelques secondes… ils m’apparaissent à ce moment très précis, et je l’écris sans aucune forfanterie, comme une évidence. En effet, une fois le doute sur l’axe de fuite de l’animal levé, plus aucune question, aucune pensée parasite n’est venue troubler mon esprit… D’où ce sentiment d’accomplissement logique. La sonnerie d’usage… Un texto à François qui est posté pas très loin… Quelques minutes se sont écoulées sans que l’animal n’ait manifesté le moindre signe de vie. Je décide de m’en approcher. Il s’agit d’une laie, entre 60 et 65 kg que je trouve, exsangue, couchée sur le flanc gauche. La flèche – une Beman Max-4, insert laiton et lame Eclipse 145 gr pour un total de 39 grammes – est encore en place, brisée à hauteur de l’empennage. La bilame a traversé le thorax et les deux poumons sans toucher de côtes… Je vous le disais : la bienveillance de Saint-Hubert et Dame Fortune.
Revenant vers mon poste, un frisson rétrospectif me parcourt le poil. Elle allait vite ! Cette flèche heureuse aurait très bien pu se terminer en banderille longtemps et amèrement regrettée… A ne pas renouveler !
La fin de la traque est sonnée. Mon voisin, qui a entendu mais pas vu, et François, après les congratulations d’usage, m’aident à ramener l’animal au rendez-vous. Poignées de mains et félicitations se succèdent.
A la suite de la confrontation des divers témoignages, il apparaît que cette laie a été tirée et manquée par Fred, quelques minutes avant de se diriger vers moi. Nos hôtes ont eu confirmation qu’une flèche peut tuer et en silence. Le rabatteur qui a levé l’animal m’a confié avoir été surpris par la proximité du lancer et l’annonce de la mort, sans déflagration !
La saison se termine bien… Mieux qu’elle n’avait débuté.
Merci François.
Alain FREYCHE, Février 2014