
Je suis à la chasse depuis presque deux semaines en Normandie, sur mon territoire de battue. J’ai un bracelet de chevreuil et une autorisation de tir du sanglier. Je connais bien le territoire, surtout pour les battues d’hiver à la carabine mais je le chasse aussi l’été à l’arc depuis 4 ans.
J’avais mis en place mon treestand avant l’ouverture de juin, au bois, sur une coulée de battue donnant sur une grande plaine plantée en orge (je sais les chevreuils ne sortent pas dans l’orge, ni dans le blé barbu ! Mais l’orge ça se coupe tôt et ils sortiront sur les repousses du chaume dès le 14 juillet, et puis en 2011 j’ai tué à ce poste !).
Premières séances d’affût à la mi-juillet, rien ne passe sous mon tree stand. Je le déplace vers une coulée qui me semble plus favorable car j’ai vu un brocard et sa chevrette sortir en plaine par celle-ci.
Je fais venir un jeune brocard au Buttolo mais je n’arme pas assez tôt et il m’évente sous le tree stand avant que j’ai pu le tirer : première occasion manquée.
Je déplace à nouveau mon treestand pour le positionner dans une grande futaie claire de gros chênes et de charmes. Premier soir, rien. Deuxième soir à 20h50, j’entends derrière moi un animal qui marche dans les feuilles, mais au bruit je n’arrive pas à distinguer s’il s’agit d’un sanglier ou d’un chevreuil. Je ne me retourne pas et le laisse apparaitre dans mon champ de vision sur ma gauche à quelques mètres du treestand. C’est un beau brocard, il est volontaire mais méfiant, il contourne le treestand et va se présenter de profil à moins de 10 mètres, lorsqu’il lève le nez, hume l’air, m’évente et démarre au galop. Il s’arrête à 20 mètres environ et se retourne pour essayer de sentir ce qui l’a effrayé. Je le décoche presque de cul mais ma flèche passe au-dessus (ce soir-là j’avais repris mon recurve car il m’avait semblé que je ne tirais pas trop mal avec à la cible !). Deuxième occasion manquée et parfait exemple de tout ce qu’il ne faut pas faire, c’est-à-dire tirer un animal qui vous a éventé et qui s’enfuit, et ce même s’il s’arrête. Dans ces circonstances je sais qu’il ne faut pas tirer et pourtant je tire à chaque fois et je rate toujours.
Quelques soirs plus tard, je reviens sur ce même treestand que j’ai eu la flemme de déplacer. Je sais que le brocard que j’ai manqué ne reviendra pas, mais on est en période de rut ; alors peut-être un autre… Rien ne se passe, jusqu’à 9h20, heure à laquelle j’entends des pas rapides sur les feuilles et je vois apparaitre, venant presque droit vers le treestand, le rêve de ma vie de chasseur à l’arc : un beau sanglier de 80 kg. En une demie seconde, dans ma tête c’est gagné, ce sanglier vient tout droit vers sa mort. J’ai mon compound, il va venir à 15 mètres devant le treestand, il est déjà mort. Et en effet il arrive à 15 mètres devant le treestand et va se rouler au pied d’un sapin. J’attends qu’il passe derrière un gros chêne située entre lui et moi qui me permettra d’armer sans être vu. Ça y est sa tête me semble derrière le chêne. J’arme, et là… Le sanglier fait un bond se retourne et part au trot. Je le décoche à la course mais ma flèche passe juste derrière. Même punition, même motif : Troisième occasion manquée. Je croyais que les sangliers ne voyaient rien. J’en suis pour mon compte.
Pendant quelques jours je chasse avec un auto-grimpant pour essayer de découvrir de nouvelles coulées et de nouveaux brocards (je suis fainéant mais quand même…) ; sans succès. Puis, sur les conseils de mon épouse, je décide de rechasser depuis mon treestand fixe mais le matin. J’ai remarqué que parfois le même treestand ne donne pas le même résultat le matin et le soir. Me voilà donc installé au lever du jour (vers 6h15/30) sur ce treestand où j’ai déjà loupé deux fois. Rien ne se passe pendant la première demi-heure, lorsqu’enfin j’entends tousser deux fois à moins de 100 mètres. C’est un brocard j’en suis certain et il vient vers moi. J’aperçois à 50 mètres environ un mouvement orange, à travers les branches d’un petit taillis. Il marche et il vient. C’est là que tout s’entrechoque dans la tête du chasseur à l’arc : J’avais raté mes trois derniers animaux parce que je n’avais pas armé assez tôt, il ne faut pas que je refasse la même erreur ; et en même temps je ne sais pas combien de temps je peux tenir armé avec mon compound, je n’ai pas l’habitude… En plus le chevreuil semble prendre une trajectoire qui va le faire passer derrière moi. Je risque donc d’avoir très peu d’angle pour tirer avant d’être bloqué par le tronc de mon arbre.
Comme le chevreuil est dans un taillis relativement dense et qu’il va ensuite rentrer dans une partie de futaie totalement claire, je tente le tout pour le tout et je me lève doucement (cela me donnera plus d’angle pour tirer presque derrière moi) tout en armant mon arc. Et là, miracle ! Le chevreuil ne part pas. Il avance encore de quelques mètres mais sa trajectoire va en effet le faire passer derrière moi. Il s’arrête de profil entre deux petits arbustes qui le cachent partiellement. Il est loin et la fenêtre de tir est minuscule. J’ai très peu d’angle et mon bras d’arc est presque bloqué par le tronc du chêne de mon treestand mais c’est maintenant… Ou bien je risque de le voir s’éloigner derrière moi et de ne plus pouvoir le tirer (comme toujours c’est à posteriori que l’on peut décomposer cet enchainement qui mène à la décision de tir car dans l’action tout s’entrechoque et seuls les automatismes fonctionnent).
Je le décoche donc dans cette minuscule fenêtre de tir sans véritablement pouvoir « pick the spot » tant il est loin, et là, bonheur suprême, je vois l’encoche lumineuse le traverser et surtout j’entends le « tchac » caractéristique de l’atteinte. Il démarre au galop sur 15 mètres vers mon tree stand, le dos arqué, puis s’arrête et tend vers l’arrière sa patte arrière droite, comme s’il voulait s’étirer. Il refait quelques pas, tourne sur lui-même et s’effondre. Il meurt à vingt mètres de moi, à vue, en moins de 2 minutes.
J’ai tiré ce brocard à 27 mètres (pris au télémètre). Je n’ai donc pas fait honneur à la devise des chasseurs à l’arc « toujours plus près » mais parfois, on fait ce qu’on peut. Il est mort à 25 mètres de l’Anschuss en moins de 2 minutes. Le plus surprenant est que mon atteinte n’était pas bonne : dans l’abdomen très en arrière presque à la limite du cuisseau mais juste sous la colonne vertébrale. Je pense que ce qui a provoqué une mort si rapide malgré cette mauvaise atteinte, c’est la largeur incroyable de la blessure provoquée par la lame articulée Rage Xtrème (presque 10 cm). J’avais déjà constaté cela l’année dernière mais sur une atteinte aux poumons. Ces lames sont vraiment létales.
Voilà donc un chevreuil rattrapé « sur le fil », après trois occasions manquées, suite pour au moins deux d’entre elles à des erreurs grossières. C’est un peu un tir de raccroc, mais ça sauve ma saison d’été à l’arc et ça fait quand même très plaisir. En plus, cerise sur le gâteau, c’est une belle tête bizarde. La chasse à l’arc, c’est et ça reste passionnant quoi qu’il arrive.
Cédric Gélard, août 2014